Retour à Palerme

Jean-Pierre Cabanes, né en 1949, exerce une profession libérale dans le Midi de la France et écrit des romans dont l’action se déroule souvent en Italie. Son précédent roman Ciao Bella a rencontré un vif succès.

Retour à Palerme: Aubéron (adulte)

J’étais dans cet avion qui m’emmenait vers cette ville radiée de mes souvenirs depuis trente ans.
Mes manœuvres, mes ruses pour lui échapper avaient échoué, et je voyais, dans ces heures de vol vers Palerme, l’étape précédant un impôt du destin dans cette seconde partie de ma vie. Les roues de l’avion touchèrent le sol et, mécaniquement, je cherchai sur la terrasse du toit, comme trente ans plus tôt, les silhouettes de Pippo et de sa bande, auxquels se joignaient Sandra et les autres filles. L’année de son permis de conduire, elle était venue seule dans sa Fiat 500, et je l’avais identifiée tout de suite sur la terrasse, debout dans le vent, les cheveux tirés en arrière et ramenés en un lourd chignon comme une vaste goutte noire.
Cette fois, il n’y aurait personne sur la terrasse pour agiter les bras, et, d’ailleurs, comment m’aurait-on reconnu avec toute cette vie qui était passée sur moi ? C’est du sommet de la passerelle qu’en grosses lettres, je vis sur la façade la dernière appellation de l’aéroport : Falcone e Borsellino ; et ces deux noms, je les reçus en pleine figure. Commémoration, hommage aux héros ? Peut-être. Mais je ne pouvais m’empêcher de donner à cette nouvelle désignation, comme toujours en Sicile, un autre sens : Nous sommes le pays où l’on tue les juges.
Et, si l’on se souvenait de moi –mais la Sicile est le pays où la mémoire ne s’efface pas-, voilà ce que nous avons fait depuis que tu t’es enfui. J’ajoutai in petto : et ce que nous te ferons si tu reviens.

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